Jean-Louis Petit - addendum à l'ouvrage "Le Chef d'Orchestre" édité par armiane@online.fr et diffusé par editions_fortin@club-internet.fr
Notes à l’usage des compositeurs. Berlioz a inauguré la coutume d’ajouter un chapitre, dans son ouvrage traitant de l’orchestration et de la composition, consacré à la direction d’orchestre, jugeant que cette discipline concernait aussi bien les compositeurs que les interprètes. C’était un complément logique et utile, surtout à une époque ou la direction d’orchestre, telle que nous la concevons aujourd’hui, en était à ses débuts.
Dans l’autre sens, les chefs d’orchestre peuvent aujourd’hui donner utilement des conseils techniques d’écriture aux compositeurs, dans le but de favoriser au mieux la réalisation, par l’orchestre, de leur pensée musicale quelles que soient leur esthétique ou la nouveauté de leur langage. “L’invention ne part pas d’une connaissance mais d’un délire” prétendait Raymond Devos (Télérama 12/9/88). Cette affirmation du grand humoriste concerne tous les domaines. Oui, l’invention que déploie le compositeur dans son oeuvre ne s’appuie pas uniquement sur son quotient intellectuel, mais affirmons malgré tout qu’elle doit être maîtrisée par son savoir.
Il existe par ailleurs une grande différence entre le délire d’un fou ou d’un simple d’esprit et celui d’un savant ou d’un génie. Sans vouloir se considérer comme l’un ou comme l’autre, le musicien, interprète ou compositeur, doit posséder un savoir et développer une grande intelligence de son métier à partir de son expérience et de l’expérience des autres, qu’elle soit prise dans le passé ou le présent. Quant à l’avenir c’est le seul domaine que nous ne puissions maîtriser, mais qui nous concerne également et interroge notre réflexion à chaque instant.
Pour ce qui est de ceux qui veulent à tout prix faire table rase de la tradition, de l’expérience ou de la connaissance, ils ont intérêt à devenir encore plus savants que les autres s’ils ne veulent pas remettre les pieds dans les mêmes traces ou les mêmes erreurs que ceux qui les ont précédés en croyant qu’ils vont décrocher la lune.
Prenons un exemple, qui peut justifier notre chapitre, celui de la course automobile déjà évoqué. Il est des paramètres de base incontournables dans la conception d’une voiture : il faut des roues et un dispositif pour les actionner. Les roues existent depuis la plus haute antiquité et le dispositif de même (l’homme et les animaux puis le moteur). Le “progrès” n’est intervenu que sur l’accessoire et non sur le principe de base qui, tel un théorème, est immuable. Vouloir imposer au coureur une voiture munies de roues carrées, quelle que soit la puissance du moteur, c’est le condamner au mieux à l’immobilisme, au pire à l’accident et de toute façon au ridicule. Combien n’avons-nous pas vu passer d’oeuvres à roues carrées ces dernières années : on ne les compte plus !
Voici donc quelques réflexions sur l’orchestre et sa direction à l’usage des compositeurs :
Principe de base : tout ce qui peut éviter au chef d’arrêter l’orchestre aux répétitions, pour donner une explication ou une précision, que ce soit à l’ensemble de l’orchestre ou à un musicien ou groupe de musiciens particuliers, doit être explicité par l’écriture et figurer dans la musique et par conséquent dans la partition de façon à être immédiatement compréhensible et réalisable à l’exécution sans avoir besoin de longues (ou courtes) dissertations ou d’interminables “essais” et redites. Le compositeur doit donc veiller à ne pas écrire une note sans savoir comment elle sera jouée, par quel instrument, cela va de soi, (en ne se trompant pas dans l’écriture des instruments transpositeurs, ce que j’ai quelques fois constaté) mais aussi dans quelle nuance, quel tempo, quelle articulation, quel coup d’archet, quel phrasé, quel mode de jeu, etc...le tout correspondant à quelle battue, puisque nous parlons de direction d’orchestre. Mais il devra veilleur aussi à trouver le meilleur moyen de faire comprendre ses intentions en ne surchargeant pas excessivement l’écriture, car si chaque double-croche d’un tempo rapide est agrémentée d’une ou plusieurs indications différentes, il est à craindre que le résultat diffère sensiblement de l’intention et de l’indication, sauf , bien sûr, si l’on veut obtenir un cafouillage désorganisé.
Par ailleurs le travail d’orchestre sera d’autant facilité que la musique aura été conçue en fonction des instruments et de leur technique plutôt qu’à leur encontre (deuxième principe de base). Certes il est des exemples célèbres qui contredisent ce principe, et nous connaissons tous des écoles esthétiques pour qui la recherche à tout prix de la nouveauté technique est l’unique préoccupation. Les tenants stricts de cette option (esthétique?) mettent en avant le fait que cela fait progresser la technique instrumentale tout en leur permettant, à eux, créateurs, d’accéder à une originalité certaine puisque leurs “trouvailles” n’ont jamais été réalisées avant eux. - (L’originalité ne peut être le fruit d’une décision volontaire, on est (nait) original ou on ne l’est pas.) Trouver de nouvelles combinaisons, certes, mais une oeuvre ne peut pas être le catalogue d’objets musicaux, tel celui d’un super-marché alignant des produits à disposition des acheteurs, sans raison et sans logique si ce n’est un classement alphabétique ou par matière.
Une oeuvre ne peut donc aligner, même dans un ordre savamment calculé et étudié, tout ce qui peut se faire de plus inusité et de plus surprenant sur un instrument donné ; et pour s’en convaincre il n’est qu’a rapprocher cette volonté de celle des compositeurs du passé qui, eux aussi, se sont penché, depuis l’origine, sur la résolution de problèmes techniques en composant des “études” (Bach, Czerny, Chopin, Debussy, etc..) ou ont participé à l’élaboration de nouveaux instruments sans pour autant laisser de côté leur souci esthétique, et en veillant bien à ce que ce qu’ils écrivaient dans ce cas soit exécutable à cent pour cent et non à 30 ou 40% comme l’avouent eux mêmes certains compositeurs, bien obligés de constater sur le vif le résultat de leur trouvaille. Il leur reste, pour se consoler de leur déconvenue, à mettre une confiance démesurée et illimitée dans les possibilités futures que pourrait offrir le développement sans bornes de la technique, mais je crains que l’on ait déjà dépassé le seuil des possibilités humaines dans ce domaine, comme dans celui de la course à pieds ; ce n’est pas en gagnant un cinquantième de seconde sur un trajet de 100 mètres que l’on changera significativement le sens de l’Histoire.
Cette recherche technique est davantage à sa place quand il s’agit d’oeuvres pour instrument seul, qui peuvent en effet être considérées comme des études, des essais ou des exercices (par exemple les Séquences de Berio), et, de ce fait, être travaillées par l’interprète jusqu’à la limite de ses forces, de ses possibilités techniques et sans compter son temps ; mais à l’orchestre le temps dont on dispose pour travailler une oeuvre ne permet pas de s’appesantir sur des difficultés techniques individuelles à répétition. Malgré le haut niveau des musiciens d’orchestre aujourd’hui, comme je l’ai déjà signalé, il est des contorsions qui relèvent plus de l’exploit sportif que de l’art. On n’a jamais vu, par ailleurs, un musicien d’orchestre emporter chez lui la partition d’une oeuvre symphonique pour la travailler ! Mieux vaut donc faire en sorte que tout soit clair et facilement assimilable selon la technique de chaque instrument et selon les règles du solfège choisi, qu’il soit traditionnel ou intelligemment et logiquement individualisé, le tout intégré à la battue du chef clairement définie.
Par ailleurs les musiciens (tous, même les plus blasés, ils sont faits comme cela puisque c’est la base de leur formation qui les formate ainsi) ne sont jamais satisfaits et toujours mécontents quand ils ne parviennent pas à exécuter exactement, sans trop tricher, ce qui est écrit sur la partition qu’ils ont devant eux sur leur pupitre à l’orchestre. D’où une ambiance déplorable dans l’orchestre. Enfin, je me répète, l’art en général (et la musique en particulier) n’a pas pour objectif de produire des oeuvres susceptibles de s’affronter pour l’obtention d’un prix au Concours Lépine. Déjà que, de nos jours, une production artistique, qu’elle soit graphique ou musicale, à tendance, dès son élaboration et jusqu’à sa finition, a n’avoir pour objectif que d’entrer directement au musée dès sa livraison (car le concert n’est qu’un musée) sans autre utilité sociale préalable, la restreindre à des spéculations techniques et théoriques me semble être une voie sans issue.
Parmi les exemples célèbres qui contredisent les principes de base énoncés plus haut, on pourra toujours se référer à Ravel, maître incontesté de l’orchestration, dans l’absolu, certes, mais pas dans le détail. Une anecdote personnelle : Lors d’une répétition d’un orchestre extra-européen, j’aborde l’oeuvre de Ravel figurant au programme. Méconnaissable dès la première mesure. L’orchestre s’était procuré le matériel d’une édition pirate qui n’avait fait que reproduire strictement le manuscrit du compositeur. Généralement les orchestres utilisent le matériel loué à l’Editeur, sur lequel les orchestres ont inscrit leurs indications depuis l’origine et avec l’accord de Ravel au départ, puis ils le rendent à l’Editeur après leur exécution, lequel le loue à nouveau à un autre orchestre, et ainsi de suite, si bien que l’oeuvre est toujours interprétée, sur le matériel de l’Editeur, avec les annotations d’origine inscrites par les orchestres qui l’ont jouée sous le contrôle de Ravel mais que Ravel n’a pas précisées lui-même dans sa partition. Grave erreur comme le démontre cet exemple, et il m’a fallu refaire tout ce travail d’annotation.
Il est évident que le compositeur ne doit pas commencer l’écriture d’une oeuvre d’orchestre sans réfléchir au rôle qu’il va assigner au chef d’orchestre. Il dispose de deux possibilités : soit sa conception s’inscrit dans le cadre (strict ou élargi) de la battue traditionnelle avec des indications de mesures bien précises, qu’elles soient stables pendant toute l’oeuvre ou qu’elles changent à chaque battue, soit il choisit une convention particulière pour que la signalétique du chef parvienne à guider les musiciens dans leurs départs, leurs trajets et leur arrivée. Une troisième possibilité s’offre à lui : le mélange des deux premières.
Abordons la battue traditionnelle.
Premier cas de figure : la battue change à chaque mesure. C’est surtout Stravinski qui a inauguré cette manière, particulièrement dans la Danse Sacrale du Sacre du Printemps qui a fait date et qui a suscité de très nombreux suiveurs, émules et imitateurs. Notons au départ que ce n’est pas sans raisons que Stravinski a utilisé ce procédé, c’est tout simplement pour se conformer à l’accentuation qu’il désirait obtenir dans ce ballet, à temps ou à contre-temps, étant entendu que, traditionnellement, et cela correspond à un geste naturel comme nous l’avons vu, le premier temps de chaque mesure est considéré comme le temps fort. Les changements de mesure chez Bartok ont la même raison, car ils correspondent à la métrique et à l’accentuation de sa musique.
Beaucoup de suiveurs n’ont vu, dans ce procédé, que le changement de mesure sans en analyser la raison, et ont truffé leur musique de changements de mesures à chaque pas, pour le plaisir ou pour “faire moderne” pendant que la pensée musicale restait indigente ; ces changements ne correspondent à rien de leur musique qu’ils balisent arbitrairement de cette façon. Le résultat n’est jamais convainquant et les interprètes perdent un temps précieux à débroussailler ces textes.
Certains compositeurs ont poussé cette logique (illogique) à l’extrème : avant de commencer l’écriture d’une oeuvre, ils en établissent un plan général de changements de mesures pour chaque mesure ; ils couchent ce plan sur le papier à musique vierge, puis ils remplissent ensuite leurs mesures ainsi définies avec des “notes”. Ils justifient cette procédure en évoquant la généralisation de la série schönbergienne à tous les paramètres musicaux, (donc à la battue), ou tout autre allégation purement mathématique et théorique n’ayant que peu de rapport avec la musique. Le même plan, photocopié à X exemplaires, leur sert à plusieurs oeuvres. Ce sont là des procédés arbitraires, dont la musique musicale est totalement absente. En quelque sorte de l’anti-musique que l’on veut faire passer pour de la musique.
Entrons dans les détails. Stravinski, qui peut être considéré comme un exemple de précision méticuleuse, a toujours écrit pour l’orchestre d’une façon incontestable, bien qu’il n’ai pas été chef d’orchestre. Sans aborder son génie de “faire sonner” un ensemble, même le plus hétéroclite, dans toutes les manières qu’il a abordées durant sa longue carrière, ce qui relève de son art de l’orchestration, voyons, dans son oeuvre, ce qui concerne davantage la battue. Il utilise toujours, à chaque changement de mesure, une double barre pour en renforcer le signalement. Il se sert, de ce fait, pour des changements très rapprochés, d’une convention que les classiques n’utilisaient que pour des changements importants affectant de plus larges passages de leur musique, changements survenant au cours de leurs développements, comme les changements d’armure, de tempo, de battue.
Cette analogie est un bon procédé car l’on n’est jamais trop prudent pour signaler à l’interprète un éventuel piège dans lequel il ne faut pas tomber. Il utilise aussi un découpage très serré de sa musique (que certains malveillants qualifient de “saucissonnage”), chaque mesure ne comprenant qu’un minimum de temps battus, les uns binaires, les autres ternaires, souvent un premier temps indiquant un accent, suivi (ou non) d’un deuxième temps qui représente en quelque sorte une levée. Dans ce genre de musique il serait très difficile, pour le confort de la lecture, de regrouper, comme chez Bach, des valeurs rythmiques en double croches trouées de silences, dans des mesures plus larges, par exemple à 12/8. Les répétitions d’orchestre, dans ce cas, se passeraient, pour les musiciens, à mettre des bâtons sur tous les temps pour pouvoir se repérer plus commodément. Mieux vaut, dans cet exemple, utiliser 4 mesures à 3/8 ou à 6/16, (au lieu d’un seul 12/8) ou encore la suite de mesures suivantes : une mesure à 2/8 suivie de deux mesures à 3/8 et d’une mesure à 2/4 (le tout = 12/8) plutôt qu’une grande mesure à 12/8 difficile à lire d’un seul coup d’oeil. Dans la musique de Bach les mouvements à 12/8 en doubles croches continues, très courants, sont faciles à mettre en place du fait de la continuité de la ligne mélodique, de la permanence rythmique et des changements harmoniques réguliers sur les temps, mais dans une musique “trouée” de sons et de silences, sans appui audible, cela demande beaucoup plus d’attention et aboutit rarement à un bon résultat de mise en place.
Ce problème de mise en place a toujours existé, et Beethoven l’a résolu de son côté en considérant une mesure entière comme la énième partie d’une mesure plus large correspondant à la carrure, et il indique dans ce cas “tempo di tre battute” ou “tempo di quatro battute”. De cette façon à l’intérieur de chaque mesure les valeurs sont plus facilement et immédiatement détectables. C’est ce qu’a fait aussi Dukas dans son Apprenti Sorcier dont les mesures à trois temps (battues à un temps comme dans les scherzos Beethovéniens) représentent le tiers d’une plus large mesure elle-même à 3 temps qui correspond à la carrure. (Certains chefs jugent bon de rétablir la carrure de l’Apprenti Sorcier en battant 3 mesures comme une mesure à trois temps, chaque temps représentant une mesure écrite. Ce n’est vraiment pas la chose à faire, car cela prête à confusion, surtout pour ceux des musiciens de l’orchestre qui ont des mesures à compter, même s’ils connaissent l’oeuvre par coeur, car les automatismes de leur machine intérieure à compter les mesures peuvent être ainsi pris en défaut).
Deuxième cas de figure : la musique est écrite sans mesure, avec des valeurs réelles ou aléatoires, des tempi superposés, des instruments solistes ou des groupes évoluant dans leur propre tempo indépendamment des autres instruments ou groupes, certains ralentissant, d’autres accélérant, etc...Il n’y a donc pas de mesure traditionnelle et par conséquent pas de battue traditionnelle possible. Il est nécessaire de trouver un moyen simple pour coordonner l’ensemble. Plusieurs procédures ont été imaginées, avec plus ou moins de succès, pour que le chef puisse maîtriser la situation. Parmi celles que l’on peut retenir, la procédure qui consiste à indiquer des repères à l’orchestre par rapport à des chiffres étalés de 1 à 5 correspondant aux 5 doigts de la main clairement indiqués à l’orchestre de la main gauche du chef (levée et immobile) et reportés sur les parties individuelles (non régulièrement espacés car correspondant à ce que l’on pourrait nommer, par analogie avec la musique du passé, des “phrasés”), a donné quelques résultats. Arrivé à 5 on reprend à 1, et ainsi de suite. La main droite peut compléter ces indications en donnant des départs, en indiquant des nuances, en faisant signe à un pupitre d’accélérer ou de ralentir s’il est en avance ou en retard par rapport aux autres, etc...Cette balisation est assez claire mais présente quelques inconvénients. Le premier, d’ordre visuel, nous l’avons déjà signalé, est que le chiffre indiqué par les doigts de la main du chef n’est pas toujours bien perçu par tous les musiciens en fonction de leur emplacement dans l’orchestre. Le deuxième, et non le moindre puisqu’il concerne la substance même de la musique, est que, entre deux chiffres, le musicien est laissé seul à lui-même, face à sa propre initiative ; et que le chef ne dispose d’aucun moyen pour le guider si ce ne sont des recommandations lors des répétitions et des gestes, de la main droite, qui ne peuvent être que des indications de rattrapage lors du concert et non des gestes de conduite.
Étudions un peu plus ce procédé : Pour passer d’un chiffre à l’autre le chef doit faire précéder son geste d’une “levée”, afin que le changement soit bien perceptible, car s’il se contente d’ajouter un doigt au précédent, sans préparation, c’est illisible. La meilleure position de la main est : paume tournée vers soi. Le chiffre 1 est indiqué par l’index, (et non par le pouce réservé aux auto-stoppeurs) les autres doigts repliés. Pour le 2 on ajoute le médius (geste toujours précédé d’une levée comme nous l’avons vu). Pour le 3 on ajoute de pouce. Pour le 4 on replie le pouce derrière la paume et l’on déploie des 4 autres doigts, le tout en un seul geste. Pour le 5 on ajoute le pouce. Une meilleure procédure de balisation consiste à inscrire la musique dans une immuable mesure traditionnelle, de préférence à 4 temps, dans un tempo battu par le chef modérément. Cette mesure n’a aucune raison de changer tout au cours de l’oeuvre, car il s’agit là d’une mesure fictive qui n’indique pas un tempo (quoique ce tempo fictif puisse être pris comme un vrai tempo pour certains instruments ou dans certains passages, il suffit de le préciser). Ce n’est donc pas un tempo, dis-je, mais un trajet délimitant une durée, c’est pourquoi il est important que cette battue soit régulière, non saccadée et bien dessinée d’un geste souple (voire nos exercices). A l’intérieur de cette battue fictive, il est facile d’inscrire la trajectoire de chaque instrument dans un tempo qui peut être différent pour chaque partie, en cohésion avec la battue du chef ou sans référence aucune au tempo de cette battue. Il s’agit là de la meilleure façon de procéder pour que chaque musicien évalue au mieux le temps dont il dispose à l’intérieur de chaque mesure fictive pour placer ce qu’il doit jouer, car il lit le trajet du geste du chef comme celui de l’aiguille d’un chronomètre.
Il est par ailleurs possible au compositeur d’ajouter, dans la mesure fictive battue par le chef, une (ou plusieurs) sous mesure(s) réelle(s) agrémentée(s) d’un tempo métronomique différent pour chaque instrument, à condition d’en calculer mathématiquement la vitesse par rapport au tempo fictif battu par le chef, en veillant bien à dissocier clairement sur sa partition cette (ces) sous-mesure(s) réelle(s) de la grande mesure fictive battue par le chef. Dans ce cas le musicien dispose de deux béquilles pour l’aider à placer son texte, la durée dont il dispose, concrétisée par la battue fictive du chef, et le tempo qui se rattache à ce qu’il doit jouer inscrit sur sa partition et attaché à la (aux) sous-mesure(s).
Je n’évoquerai pas les autres procédures qui ont pu être mises en oeuvre dans ce domaine pour remplacer la battue traditionnelle, car aucune n’apporte de véritables solutions satisfaisantes, que ce soit l’utilisation de pancartes, de signes sémaphoriques, de dés, de jeux de cartes, etc.... cela amuse beaucoup la galerie tout en discréditant l’ensemble de la profession.
Pour ce qui concerne les altérations, sauf pour les notes répétées il est préférable de remettre les altérations déjà indiquées en début de mesure, même à l’intérieur d’une mesure simple, et de ne pas hésiter à ajouter des bécarres de précaution là où l’on pourrait hésiter. Nous ne vivons plus une époque tonale, et les altérations ne sont plus évidentes à première vue/oreille comme autrefois.
Pour ce qui est des indications de mode de jeu, mis à part quelques conventions immuables et internationalement acceptées telles les “PIZZ Bartok”, les harmoniques (et encore), les TASTO, PONT, etc...nous sommes aujourd’hui dans la plus grande confusion. Certains signes qui ont une signification chez tel compositeur en telle année veulent dire autre chose chez tel autre compositeur la même année.
C’est un peu la même confusion généralisée qui a existé et existe toujours avec les agréments de l’époque baroque, et l’on a beau, 300 ans après, consulter les traités de 1768 écrits en Allemagne, ceux de 1740 écrits en France ou ceux de 1712 écrits en Italie, on n’est jamais certain d’être dans le vrai pour traduire cette signalétique baroque dont la tradition orale et interprétative s’est perdue pendant plus de 200 ans. C’est ce qui nous pend au nez si nous ne réagissons pas collectivement au sujet des nouveaux modes de jeu, car une action individuelle est impuissante pour remettre de l’ordre dans ce foutoir.
Lorsque j’ai créé l’Union Européenne des Compositeurs il y a plus de vingt ans, la première action que j’ai voulu mettre en oeuvre, parallèlement à une démarche d’ordre politique visant à établir le Domaine Public Payant, ce fut précisément l’organisation d’un grand symposium international de compositeurs dans le but de définir un nouveau “solfège” qui puisse normaliser toute cette nouvelle signalétique. Je ne désespère pas d’y parvenir, car pour le moment l’indifférence ou la réticence, voire l’hostilité de certains groupes ou instances, sont manifestes (dans les deux domaines), malgré l’approbation du plus grand nombre de ceux qui sont concernés.
En attendant, nageons dans le flou, tout en continuant à nous informer chacun de notre côté : quand les compositeurs ont disparu, il est nécessaire d’interroger les interprètes toujours vivants qui les ont joués avec leurs conseils. Notre chance est que, contrairement aux baroques, existent aujourd’hui des enregistrements qui ont été réalisés en présence des compositeurs. Mais cette présence du compositeur lors de l’enregistrement de son oeuvre n’est, bien souvent, qu’un blanc-seing qui ne reflète pas toujours sa véritable intention, et non une garantie irréfutable certifiant l’exactitude de la réalisation. Cela, je puis l’assurer.
Par contre un très petit nombre de chefs, pas toujours au sommet de la réputation, dotés d’un bon bras, d’une bonne oreille et d’une bonne écoute, parviennent à transformer une œuvre et à étonner celui qui l’a écrite tellement leur imagination assise sur un large savoir - dans le domaine de l’écriture, dans la connaissance de l’orchestre et dans l’expérience de la direction – leur permet de concevoir une interprétation à laquelle le compositeur lui-même n’a pas pensé. C’est un bonheur pour un compositeur de travailler avec eux. C’est naturellement la même chose pour les petits ensembles et pour les solistes.